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comprendre. Ils ont dit une fois ce qu'ils pensaient ; et cela n'avait pas de sens.
Ils ne s'y frottent plus. C'est pourquoi la méthode si simple d'apparence, et qui
veut toujours éveiller le jugement, n'est pas sans périls. Trop de sérieux au
commencement, cela fait des esprits noués.
La culture est un bon remède ; j'entends une longue familiarité avec tous
les genres de pensée, où l'on explore tous les auteurs, en se souciant d'abord
plutôt de les comprendre que de les approuver ou blâmer. Les jeux d'esprit, où
l'honneur n'est jamais engagé, conviennent à l'enfance et à l'adolescence ; c'est
ainsi qu'on apprend à ne pas avaler l'idée comme un appât. Comprendre, mais
ne pas se prendre, c'est la santé de l'esprit. Lucrèce, suivant en cela Épicure,
fait voir, avec des pensées quelquefois naïves, une prudence admirable, lors-
qu'il veut qu'on donne, des phénomènes comme éclipses, saisons ou météores,
non pas une explication, mais plusieurs ; car il suffit, disait-il, que les dieux
soient écartés. Le fameux Maxwell poussa jusqu'au bout cette idée, disant que,
du moment qu'il y avait une explication mécanique d'un phénomène, il y en
avait une infinité. Les grands sages raisonnent par hypothèse, et savent
changer l'hypothèse. Et Descartes, qui semble parfois péremptoire, savait bien
dire qu'il ne prétendait pas avoir reconstruit le monde tel que Dieu l'a fait.
C'était prendre une idée pour ce qu'elle est, et ce n'est pas peu. Quand il s'offre
à mes yeux un miracle, ou bien un tour de passe-passe, mon affaire n'est pas
d'abord de savoir comment l'habile homme s'y est pris, mais de me représenter
une ou deux explications possibles de la chose ; après quoi j'attendrai avec
tranquillité l'expérience qui seule peut dire ce qui en est. C'est ainsi que l'on
arrive à être sûr de soi, sans jamais à la rigueur être sûr de rien.
Voltaire avait bien vu. C'est le fanatisme qui est le mal humain ; et ce n'est
que l'esprit qui pense convulsivement, par une ambition trop prompte et
aussitôt déçue. Le fanatisme n'a point tant reculé ; il a changé d'objet, ou
plutôt il a changé seulement les mots. Je crois que les passions politiques sont
moins d'intérêt que d'esprit. Le tort que me fait le contradicteur, j'ai à peine le
temps d'y penser devant l'audace qu'il fait voir de se montrer en esprit. Même
s'il m'approuve il se pose comme mon égal ; il me somme de le reconnaître
esprit ; il demande accord dans le désaccord même. Un esprit ne peut sup-
porter un autre esprit, son égal, son semblable, qui ne pense pas comme lui.
Ce travers, où il y a de l'estime, et même de l'amour trompé, a fait les bûchers
d'autrefois, et les grands bûchers d'aujourd'hui, qui sont les guerres.
10 février 1931.
Alain, Esquisses de l homme (1927) 202
Esquisses de l homme (1927), 4e édition, 1938
XCV
Singes
23 juin 1923.
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Le Misanthrope me dit : « Ce n'est pas que je méprise l'homme ; mais
plutôt je ne trouve guère d'hommes. Entendez-moi ; j'en trouve assez qui ne
savent presque rien, qui sont livrés aux passions, ou bien qui attendent dans la
paresse, comme si ce monde leur devait tout ; ou bien qui désespèrent ; ou
bien qui boivent, ce qui est humain, et non point du tout animal. Oui, même
parmi les mendiants, il se montre des visages d'homme ; aussi les peintres
vont là tout droit. J'en viens même souvent à me dire qu'un homme vrai se
reconnaît à ceci que n'ayant pu être Alexandre il ne veut être que Diogène. Et
c'est pourquoi je ne trouve pas souvent un homme dans les places presque
grandes, là justement où j'en voudrais un.
« Maintenant, dit-il, écoutez une sorte de fable. Je suppose que quelque
Jupiter ait fait des singes à forme humaine et sans esprit, à parler proprement,
mais doués de cet art d'imiter qu'ont les singes. Quelle perfection, alors, dans
les apparences ! Quelle suite dans les signes ! Quelle avance, s'ils distribuent
la monnaie reçue au lieu d'éprouver chaque pièce, de la peser, de la faire
sonner ! En vérité, mon cher, ils en seront déjà à enseigner, quand les hommes
véritables en seront à s'instruire eux-mêmes et à mépriser tout ce mécanique
Alain, Esquisses de l homme (1927) 203
qui tire si aisément la conséquence, et enfin la bavarde, l'éloquente, la
persuasive mémoire. Qui donc, alors, écrira à vingt ans son premier livre ?
Qui donc expliquera les passions sans les connaître ? Qui donc fera sortir, sur
tous sujets, ce flot de paroles connues, usées, d'apparence vénérable ? Qui
donc sera constant en ses principes, fertile en arguments, imposant par le
système, et enfin jouant toujours les mêmes coups, comme une machine pour-
rait jouer aux cartes ? Sera-ce le singe ou l'homme ? Et quoi de plus ferme
qu'une machine ? Qui est mieux d'accord avec soi qu'une machine ? Qui est
plus logique, enfin, qu'une machine ? Mais quoi de mieux fait aussi pour
classer n'importe quoi, d'après la couleur ou la forme, ou bien pour mettre à
part tous les papiers du monde où se trouve écrit un certain nom, comme
Victor Hugo, Chateaubriand, Espace, Temps, Attention, Religion ? Grattant
aux bibliothèques et ne laissant rien, sera-ce le singe ou l'homme ? Et par là,
composant l'Arlequin de doctrines, sera-ce le singe ou l'homme ?
« En toute sorte de politesse, dit-il, qui le mieux saura saluer ou flatter ou
sourire, ou bien faire passer sans accident un plateau chargé de verres et de
bouteilles ? La pensée casse ; la pensée choque et offense. La pensée inquiète
aussi le pensant. Composez un tribunal d'hommes ; peut-être ils choisiront le
singe. Mais que dis-je là ? N'est-il pas vraisemblable que les singes l'ont
emporté depuis longtemps sur les hommes, en ce Droit érudit et accumulant,
où les textes font pensée ? Quoi de plus facile que de juger selon les
précédents ? La pensée y nuit tellement qu'on voit beaucoup de juges dormir
aux audiences ; et ce ne sont pas les pires. Toutefois je perds même cette
marque, car le sommeil s'imite aussi, je dis le vrai sommeil. Maintenant, pour
aller à la noix, ne point la quitter des yeux, faire cependant ce qui est requis et
attendu ; de tout événement faire approche ; et, même en se rangeant par [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]

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